Pylia ... Cette
ville m'avait toujours intriguée. Les rumeurs qui courraient
sur son compte étaient si mystérieuses ... J'avais
notamment entendu dire que l'esprit de Léopold le Juste
hantait ses lieux, certains racontaient que c'était pour
protéger un secret enfouit dans la ville, d'autre jurait qu'il
veillait sur l'ancienne capitale, repoussant les ennemis qui
pourraient tenter d'y pénétrer. Je ne savais pas trop
s'il fallait y croire. Je préférais me faire ma propre
opinion sur des sujets aussi étranges que celui ci. Je
tressailli, malgré le manteau de fourrure épais que je
portais. L'hiver était la pire saison que pouvait connaître
ce pays. J'aimais tellement voir les fleurs s'ouvrir au printemps,
courbant légèrement l'échine sous une bise
fraîche qui amenait des senteurs sucrées et douces,
flattant mon odorat. J'aimais sentir la caresse des rayons du soleil
sur ma peau, et j'aimais voir leurs lumières jouer avec
l'ombre des arbres. L'hiver, tout était mort. Les couleurs
chatoyantes de l'été laissaient place à
d'interminables paysages vêtus de blanc, uniquement de blanc.
Et puis, le brouillard me rendais folle, m'emprisonnant dans son
étreinte grise, me rendant aveugle. J'avais l'impression
d'être à la merci de n'importe quel ennemis. Pourtant,
il fallait plus, bien plus que le froid ou que le brouillard pour me
forcer à rester dans mes appartements.
Heley avançait
tranquillement dans la neige, comme moi, elle ne se souciait pas du
froid. Comme moi, elle ne craignait rien, ou en tout cas, se gardait
bien de le montrer.
À l'autre
bout de la ville, j'arrivai à distinguer la silhouette du
château de Pylia, et, dans le brouillard qui m'enveloppait
toute entière, dans cette étendue de blanc sans fin,
toutes les légendes que l'on racontait me semblèrent
plus réelles que jamais, plus vivantes. Je n'aurais pas été
étonnée de tomber sur le fantôme de Léopold
le Juste. En fait, en regardant un peu trop rapidement l'horizon, on
pouvait aisément croire que des spectres remuaient
paresseusement dans le lointain.
Je soupirai en
maudissant la crédulité des gens du peuple, capables de
se laisser berner par des phénomènes naturels.
Je menai ma
jument vers l'entrée du jardin de glace. Je n'y allait que
rarement, appréciant très peu l'ambiance qui s'en
échappait. Ce n'était pas de la peur, seulement un
étrange malaise, comme si je me trouvais à un endroit
ou je n'aurais pas du être, comme si j'empiétais sur un
territoire sacré. C'était comme si l'hiver s'était
entièrement condensé dans ces terres. Le froid, plus
poignant que nul part ailleurs. Et puis, étrangement, la vie
semblait s'être arrêtée ici. Les fleurs, les
arbres ou tout autres végétaux semblaient ne jamais
mourir et ne jamais vieillir. Comme si, à la mort de son roi,
le jardin avait cessé de vivre lui aussi. Une question me
traversa l'esprit : Si je restais trop longtemps dans cet endroit,
finirais je par être, moi aussi, happée par le jardin,
happée par l'hiver ?
Ridicule. J'étais
ridicule. Ce jardin était simplement gelé, comme tout
autour de moi, ni plus ni moins. Je n'avais aucune raison de me poser
de telles questions.
Honteuse de moi
même, je fis accélérer Heley. Je devais traverser
le jardin pour me rendre au château. Et je devais aller au
château, pour une inspection de routine. Il n'était pas
rares que des Elewiriens, cédant à leur cupidité,
viennent dans cette ville pour piller les reliques du défunt
roi. Malheureusement pour eux, les reliques étaient
inaccessibles aux voleurs, j'y avais veillé personnellement.
Ce qui m'inquiétait, c'était surtout les dégâts
qu'ils pourraient faire aux château en tentant d'accéder
à ces trésors. Je me devais de veiller sur le bon état
des lieux et, si je pouvais mettre la main sur un de ces voleurs, ma
journée serait parfaite.
Mes craintes
balayées par une volonté de fer, je m'engageai dans les
allées enneigées du jardin, les épaules
redressées et une lueur de défi dans le regard. Oui, je
défiais ce lieu de me faire renoncer, je défiais les
esprits qui s'y trouvaient de me faire faire demi tour. Le froid me
saisit aussitôt, m'obligeant à resserrer mon manteau
autour de mes épaules. Mes yeux fixés sur mon but, de
l'autre coté du château, j'avançais sans me
préoccuper de l'atmosphère glaciale qui régnait.
Un léger
bruit parvint à mes oreilles, derrière une statue
représentant une fée, couverte, comme le reste du
jardin, d'une épaisse couche de neige. Ce n'était pas
très fort, juste le craquement de la neige sous les pieds d'un
quelconque inconnu. Mais dans le calme ambiant, le moindre son
résonnait comme une explosion.
Je tirai sur la
bride de la jument, par réflexe. Je la fis tourner à
gauche, vers la grande statue. Peut être était ce un des
voleurs que je cherchai. Ou alors était ce simplement un
animal égaré ... quoique, j'imaginais mal les raisons
qui pouvait pousser un animal à venir dans ce lieu ...
Je contournais la
statue, la main refermée sur la poignée de mon épée,
simple mesure de précaution. Sans pour autant sortir la lame
brillante de son fourreau.
Je haussai les
sourcils lorsque je remarquai que celle qui avait fait ce bruit
n'était autre qu'une enfant, âgée de 11 ou 12 ans
d'après moi.
Je lui lançai
un coup d'oeil suspicieux. Elle ressemblait un peu à un
oisillon tombé du nid avec sa cape tout juste bonne à
cacher ses yeux. En tout cas, elle devait avoir sacrément
froid. Elle pouvait tout à fait être perdue ici, le
brouillard empêchant presque toute tentative d'orientation.
Mais elle pouvait aussi être à la recherche d'un des
trésors que gardait cette ville ... S'il s'agissait d'une
voleuse, je n'avait aucune envie de lui faire de cadeau.
- Que fais tu là
?
Ma question avait
claquée, dans un mélange d'autorité et
d'accusation. Je n'avait pas voulu prendre un ton aussi dur, mais on
m'avait appris à faire comme ça, on m'avait appris à
régner. On m'avais appris à me faire respecter.
Pourtant, j'avais du mal à croire que cette gosse soit rongée
par le feu du mal, qu'elle se trouvait ici dans le but de faire des
dégâts, pas volontairement en tout cas.